Depuis mars 2017, le seuil au-delà duquel le recours à un Architecte est obligatoire (pour déposer un permis de construire) est passé de 170 m² (de SHON) à 150 m² de (surface plancher).
Voici pourquoi, d'après ce que l'on peut trouver sur la toile :
Parce que la création architecturale, la qualité des constructions et le respect des paysages sont d’intérêt public.
Parce que l’Architecte est le seul professionnel du bâtiment dont la compétence de concepteur est reconnue et contrôlée par l’État.
L'Etat aurait donc rendu obligatoire le recours à l’Architecte pour garantir la qualité des constructions et protéger ceux qui bâtissent...
Je suis perplexe : le contrôle de l'Etat ne s'effectuant pas sur les constructeurs ou artisans, la protection est bien incomplète...
Ne serait-ce pas plutôt une histoire le lobbying et de protection d'un métier ?
J'ai plusieur questions :
En quoi 149 m² serait si différents de 151 m² ?
Quelle est la justification du seuil ?
Pourquoi est-il passé de 170 m² à 150 m² ?
Est-il arbitraire, ou savamment calculé ?
Comment est-il fixé et défini ?
Est-ce que l'Ordre des Architectes influe sur ce seuil (lobbying)?
L'objectif est-il vraiment de protéger les particuliers ?
Et enfin, à quel fléau s'expose-t-on réellement au-delà 150 m² pour qu'un professionnel aussi cher soit imposé pour un simple dépôt de permis ?
Merci de m'apporter quelques éléments de réponse, si vous le pouvez !
Bonjour Michel
Je vais tenter de répondre à vos questions du mieux possible et avec la plus grande précision. N'étant pas inscrit à l'ordre (je suis diplômé d'une Ecole Supérieure des Beaux Arts - DNAT Design Cadre Bâtiment, délivré par le gouvernement), on me reprochera peut-être de ne pas être totalement impartial - 15 années d'expérience et plus de 130 projets réalisés m'autorisent néanmoins un certain pragmatisme...
J'ouvre une parenthèse :
Je vais différencier Architecte (avec une majuscule : celui portant le titre et inscrit à l'ordre) et architecte (avec une minuscule, selon les définitions suivantes) :
- "Personne qui conçoit le parti, la réalisation et la décoration de bâtiments de tous ordres, et en dirige l'exécution / Promoteur, maître d'oeuvre d'une réalisation importante." (Larousse)
- "Celui qui exerce l'art de l'architecture, artiste qui trace le plan d'un édifice, en dirige l'exécution et en règle les dépenses." (Académie Française)
Contrairement à Avocat, Médecin, Huissier, Expert-comptable ou Notaire, par exemple, la définition n'implique pas exclusivement la notion de titre ou d'appartenance à une entité supérieure (ordre).
Je ferme la parenthèse et reviens à la question du seuil :
En-dessous de 150 m² de surface "plancher", une personne physique peut déposer elle-même, et sans la signature d'un Architecte, un permis de construire. Elle peut élaborer elle-même les plans, les perspectives, les dessins de façades, les coupes, etc. sans aucune aide professionnelle (concepteur, dessinateur, ingénieur, Architecte, etc.) - ce qui implique tout de même un certain niveau de compétences vu la complexité des dossiers...
Au-delà de ce seuil, l'Architecte est obligatoire. Croyez bien que l'obligation et le seuil (arbitraire ?) me désolent tout autant que vous. D'autant plus que cette réglementation a des conséquences importantes. J'y reviens ci-après.
A la base, le principe de protéger le dépositaire d'un permis (que je nommerai 'demandeur' ou 'client') est plutôt louable. Et comme vous le dites, cela serait vraiment justifié et (presque) acceptable, si toute la chaîne était irréprochable et contrôlée :
- Pour commencer, si les services d'urbanisme avaient réellement les compétences pour accompagner les demandeurs dans leur démarche (et la volonté, la motivation de le faire), au lieu de s'appuyer férocement sur des règlements pas toujours irréprochables, trop généralistes et inadaptés au cas par cas (chaque dossier est pourtant bien un cas unique). Les demandes de dérogation sont parfois accueillies comme des insultes au règlement, ce qui est ahurissant !
- Si les délais d'instruction interminables ne coûtaient pas des fortunes aux demandeurs en attente de leur logement (avec des prêts en cours et des loyers, par exemple).
- Si les Bâtiments de France avaient plus de personnel et un peu moins d’égo (je pèse mes mots) - et s'ils étaient eux-même contrôlés. La compétence en elle-même n'est pas à mettre en cause, mais les abus de pouvoir (disons plutôt de "position") ne manquent pas - les besoins ou les envies des demandeurs passent trop souvent à la trappe, au détriment des prérogatives parfois subjectives des ABF.
- Si les recours des tiers étaient réglementés autrement et ne faisaient pas perdre deux mois inutilement. Et si les mairies prenaient tout simplement l'entière responsabilité des permis qu'elles accordent (et qu'elles se permettent de refuser également).
- S'il était possible de garantir la qualité d'un constructeur, bâtisseur, fabricant, fournisseur ou artisan.
- Si l'obtention d'un prêt n'était pas un parcours du combattant, parsemé de refus, de délais, d'examens médicaux et d'atteintes à la vie privée.
- Si de multiples frais ne venaient pas s'ajouter aux honoraires imposés : assurances bancaires, assurance dommage-ouvrage, taxes diverses, etc.
- Et enfin si le demandeur avait toutes les garanties qu'en cas de problèmes (entreprise en faillite, malfaçons, refus abusifs, etc.), il obtiendrait gain de cause et dans les meilleurs délais (utopique).
Alors la "protection" serait mieux accueillie. Car plutôt qu'obliger le demandeur à faire appel à un Architecte (ce que beaucoup de gens font, même en-dessous du seuil !), pourquoi ne pas confier aux services d'urbanisme la tâche et la responsabilité de contrôler la qualité technique des projets en plus de sa validité réglementaire ou esthétique ?
Cela impliquerait la présence de quelques a/Architectes et autres professionnels du bâtiment dans les rangs administratifs : un vrai atout en amont, pour conseiller les demandeurs, une vraie prise de responsabilités et un soulagement pour bon nombre de services d'urbanisme, surtout dans les petites communes.
Ne pas adhérer à cette obligation de recours ne veut pas dire que j'ai des griefs à formuler à l'encontre des Architectes. Au contraire, je collabore régulièrement avec eux et ils me sollicitent également. Entre professionnels, certaines qualités, au-delà des titres et des diplômes, sont appréciées. Mais vous avez raison de questionner le bien-fondé de l'obligation en elle-même et la justification du seuil - et d'évoquer un doute (légitime) sur un éventuel lobbying.
Voici ce que dit un article édifiant du site internet la-loi-pinel.com :
"Sous l’impulsion de l’ancienne ministre Fleur Pellerin, le texte a été voté en septembre 2015. Le décret étant publié, la disposition s’applique depuis le 1er mars. Dès à présent, le seuil du recours à un architecte a été abaissé, passant de 170 m² à 150 m².
Une volonté exprimée depuis longtemps par les professionnels, qui attendaient ce changement légal avec impatience. La loi du 7 juillet 2016 a donc entériné cette modification, appliquée depuis le 1er mars.
L’ESPOIR D’UN SECOND SOUFFLE. Les architectes espèrent que cette loi [Pinel] va susciter un regain de leur activité, tournant au ralenti. En effet, les professionnels sont très nombreux à exercer en France, et le coût des prestations dissuade de nombreux particuliers de faire appel à ces professionnels."
Et comme "le coût est dissuasif", on oblige ! [dissuasif ne veut pas dire excessif, il ne faut pas lire entre les lignes] Et comme "l'activité tourne au ralenti", on abaisse le seuil ! C'est limpide (et simpliste), mais efficace - même si je doute d'un réel impact (pour les Architectes) de l'abaissement du seuil, vu le changement de méthode de calcul des surfaces (la SHON initiale a été remplacée par la "surface plancher"). Un abaissement plus conséquent du seuil aurait probablement un impact plus important, il faut donc s'y attendre à l'avenir.
Aucun élément objectif (si ce n'est un réel besoin exprimé par les Architectes en panne de clientèle) ne peut justifier tel ou tel seuil. Au contraire : l'argument de l'intérêt du demandeur (faire appel à un Architecte garantirait le résultat du projet) ne tient pas. Nul n'est dupe sur le principe qu'il peut y avoir de bons et de mauvais professionnels dans tout domaine, et qu'un titre ne peut maquiller une éventuelle incompétence.
Pire encore, ce règlement est discriminatif ! On fait prendre (si l'on suit l'argumentaire) d'énormes risques à ceux qui on des moyens financiers plus limités. Seuls les gros budgets méritent l'inquiétude du législateur. Si l'Architecte était le seul et unique professionnel compétent, alors il faudrait l'imposer à tout le monde. En laissant le choix aux "petits" de se passer de cette ultime et unique compétence, on leur fait prendre un risque.
La conséquence sournoise mais évidente du seuil abaissé est que les particuliers sont incités à construire plus petit (les services d'urbanisme doivent instruire une foule de projets culminant à 149,99 m²). L'abaissement du seuil impacte donc le secteur de la construction, car construire moins de m², multiplié par des milliers de projets et de chantiers, cela représente d'importantes sommes et beaucoup d'emplois. Et au final, cela nuit à ceux qui devaient en bénéficier. Le chat s'est mordu la queue - et celle de tout le monde avec. Et je suis convaincu qu'un seuil à 110m² ou 130 m² aurait des conséquences exponentiellement dramatiques sur tout le secteur.
Il est temps de laisser le marché se réguler. Les "mauvais" ont rarement de longues carrières. Et si les "A" sont les meilleurs, ils n'ont donc pas à s'inquiéter. Le seuil a pour conséquence, contrairement au résultat tant convoité, de promouvoir les "autres" (les a minuscule), parce que les clients adaptent leur demande à la réglementation et construisent tout simplement plus petit, en faisant appel au prestataire qui leur semble le plus abordable (c'est humain) et le plus apte à mener leur projet à terme... qu'il porte un titre ou non. Et si, ce faisant, ils prennent un risque, c'est qu'ils y ont quelque peu été incités.
Que demandent les clients à leur prestataire ?
- qu'il soit créatif, compétent et expérimenté
- qu'il sache anticiper les aléas
- qu'il respecte le budget travaux et propose des honoraires compatibles avec le projet
- qu'il sache défendre leur projet et leurs envies et obtienne le précieux permis
- qu'il sache analyser les devis, détecter les erreurs et adapter le projet en cas de besoin
- qu'il puisse conseiller de bons artisans (sans toucher de commissions) ou assister le client dans la sélection de l'équipe
- qu'il conseille, organise et guide durant la phase des travaux
- qu'il coache ceux qui veulent construire eux-mêmes tout ou une partie (ils sont nombreux)
- qu'il soit disponible et accessible
- etc.
Malheureusement, aucun ordre ni aucun titre ne peut garantir cette équation complexe (l'inverse est vrai aussi, bien entendu). Comment choisir entre tel ou tel Architecte/architecte ? Les seuls points de référence vérifiables sont l'expérience, les recommandations et les réalisations.
Qu'implique cette réglementation pour ceux qui construisent au-delà du seuil ?
- Principalement, l'obligation de payer des honoraires. Ils sont fixés librement par chaque Architecte (selon le site internet de l'Ordre des Architectes), mais représentent quand même en moyenne 10 à 15% du budget global pour un projet incluant le suivi, et 4 à 7 % pour un permis (et plus si options). Si vous prévoyez de gérer vous-même votre projet (et que vous en avez les compétences et le temps), vous n'allez pas apprécier cette dépense imposée.
- L'incitation à obtenir une signature "de complaisance" (et juste cette dernière), en réalisant soi-même la conception et le dossier de permis (ou avec l'aide d'un autre pro moins onéreux). Certains Architectes acceptent de fournir cette signature, moyennant rémunération, sans pour autant avoir étudié ou conçu le projet (ce qui laisse également perplexe).
- Une certaine garantie (je précise "certaine", car rien ne garantit la qualité de l'Architecte sélectionné, ni son talent et/ou son expérience).
- Une garantie décennale, si l'Architecte est missionné pour le chantier (et ce uniquement sur son intervention, et non celle des artisans qui ont normalement leur propre assurance). Sinon, une garantie "décennale permis" (corrigez-moi si je fais fausse route), qui ne vaut pas grand chose vu la petite phrase souvent apposée sur les plans du permis qui précise que ces derniers ne sont pas des plans d'exécution et ne peuvent donc être utilisés pour la construction.
La signature "de complaisance" :
La signature "de complaisance" est illégale. L'Architecte doit être l'auteur du projet pour le signer. Toutefois, certains Architectes le font quand même et il n'est pas totalement absurde de dire que la réglementation y incite - d'autant plus qu'il est bien difficile, voire impossible, de démasquer le stratagème (la fraude ?). Pour ma part j'y suis défavorable, à deux exceptions près :
- Si l'Architecte signataire a bien participé ou contribué à la conception (sans pour autant en être l'auteur à part entière) ;
- Et/ou s'il a opéré une vérification complète et consciencieuse du dossier (et donc usé de sa qualité d'expert pour conseiller le client et valider le projet).
Dans ces deux cas, la signature me semble pouvoir être considérée comme légitime. Tout du moins cela rend la chose moins répréhensible (en théorie) et surtout apporte un 'plus' au client, en particulier s'il a réalisé lui-même les plans et le dossier de PC...
Le fait que certains Architectes usent de (ou acceptent bon gré mal gré) cette pratique la rend moins critiquable par ceux qui la dénoncent et qui dénoncent ainsi le fait qu'il n'ait pas été fait appel à un eux dès le commencement du projet - ce qui représente, au global, un manque à gagner non négligeable.
En signant un dossier de permis de construire, un architecte engage sa responsabilité (ou celle de son employeur). Cette responsabilité se matérialise par une garantie que le professionnel paye à son assureur. Ce prix est logiquement répercuté sur le client (pas toujours "au réel" ou en rétrocession). Les honoraires facturés en sus de ce prix sont la contrepartie de la "complaisance" et du temps passé (dans des proportions pas toujours transparentes). Et comme la démarche est illégale (même si c'est pour ainsi dire invérifiable), elle se négocie trop souvent sans facture - ce qui, de fait, retire tout le bénéfice de ladite garantie et rend la chose encore plus répréhensible...
Conclusions :
Il faut donc être très attentif au seuil.
Exemple : Vous avez un budget travaux de 300 000 € et prévoyez une construction estimée à 2000 €/m² tout inclus.
Les honoraires d'un Architecte (mettons 12%) représentent 18 m² de "perte" de surface. Donc si votre projet fait 149 m², vous pourrez financer 149 m². A contrario, si votre projet fait 151 m², vous ne pourrez financer en réalité que 132 m² (absurde, non ?), ou augmenter votre budget de 36 000 € pour garder votre surface initiale ! Mais pour être tout à fait juste, il faut préciser que si vous faites appel à un professionnel pour vous assister (avec le A majuscule ou non), vous aurez bien des honoraires à payer (et c'est normal) et il faut en tenir compte dans votre calcul global.
Ce sont l'obligation et le seuil qui sont regrettables - et non les honoraires. Ces derniers doivent être adaptés à la complexité - ou non - du projet. Payer 36000 € d'honoraires pour un pavillon de 150 m², le cas échéant, c'est trop.
En revanche, ne confiez pas votre projet (et 25 ans de crédit) à un débutant sous prétexte qu'il est peu cher. Et à l'inverse, ne soyez pas influencés à payer plus cher sous prétexte d'un titre honorable.